Le Peintre Bram Van Velde à table - " Un grand contemplatif"... - Image empruntée sur Internet ______________________________________________ A cette époque de l’année le contraste déchirant entre les conditions humaines dans la rue et sur les écrans de télé me saute à la gorge. Le chaud d’ici, la perspective très proche de joies familiales, de ces retrouvailles qui prennent valeur de miracle au fil des ans et qui jalonnent plusieurs récits de vie me laissent un goût prononcé de transhumance. J’ai toujours bonheur à savourer la conjonction des regards lorsqu’ils s’ajustent en harmonie et fulgurance dans l’éphémère portée musicale des heures partagées. J’ai tristesse à constater que je ne peux réunir autour d’une même table tous ceux et celles que je porte dans mon cœur et mon estime . Chaque présence m’est une question particulière et je n’ai pas toujours la réponse adéquate. L’accueil de l’autre est une patience difficile à mener à maturité. L’expérience n’y fait rien, elle arrondit quelques angles, mais elle n’amortit pas toutes les butées contondantes. Ecrire ne fait pas lien lorsqu’elle aliène la liberté de mouvement. Le meilleur lien c’est la distance ajustable en fonction des circonstances et des endurances labiles. Le meilleur lien donne le sentiment d’avoir été juste et honnête dans l’échange. Quand l’autre est sourd et devient vindicatif, quérulent... je suis de plus en plus dans le retrait, dans la coupure chirurgicale. Quand c’est moi qui sens sourdre ma colère , ma réaction est aussi la même. Plus j’écris, plus je me tais sur ces impasses d’egos qui ne sont pas ce que je recherche dans l’écriture et la lecture. Certaines volte-face de personnes qui sont venues à moi « se réchauffer à [mes] sourires » comme le chantait Barbara dans Nantes, me paraissent ,avec le recul , et même d’emblée si j’accepte de me souvenir des précautions que j’avais au départ (et qui m’ont été reprochées…), comme autant de mouvements prévisibles. La vie privée des gens n’a très souvent rien de comparable à l’image publique qu’ils donnent d’eux. Leurs misères affectives et morales sont souvent dissimulées sous des habits de prestance qui ne font pas illusion lorsqu’on les approche de plus près. Comme ces enfants souffrant d’autisme qui ne supportent pas le regard direct et jugé trop pénétrant d’autrui, ceux qui promènent leur ego sur les scènes de communication jouent à vouloir dépasser leur phobie du regard en éprouvant celui-ci dans les échanges. On fait « comme si »… la transparence était possible et souhaitable. Ce qui l’est par contre, c’est la volonté de respecter et de rendre tangible le désir de l’autre pour pouvoir lui apporter la réponse la plus authentique et « contenante « qui soit. Toute relation doit être balisée dans le temps et dans l’espace pour ne pas déborder et perdre sa capacité d’irrigation des terres mentales. Une relation qui fuit ou qui se durcit est une relation qui sécrète son propre anéantissement. Il m’est arrivé , et encore récemment , de parler de la » séduction » que j’imagine à l’œuvre dans toute adresse humaine à autrui . Ce n’est qu’un constat, pas un jugement. Je viens de lire dans un livre que « ne rien demander » est le signe de subversion le plus grave, vis à vis du personnage secourable imaginaire que nous portons tous en nous. Certains l’appellent « Dieu ». Ne rien demander à cette instance invisible est une attitude de Mécréant, de Toute-Puissance, et certains le paient de leur liberté de conscience si ce n’est de leur vie… Demander et Recevoir sont avant cela les contingences ordinaires de notre condition humaine universelle. Les façons de recevoir et de demander sont au cœur de la conflictualité qui se déploie entre les êtres. Et c’est là que la nécessité de séduction entre en ligne de compte. Un texte littéraire est pour moi un objet de séduction qui se place en travers du besoin d’être séduit ( en sédition aussi…) de l’autre. La séduction rate ou réussit, elle est l'outil d'emprise dont nous usons et abusons en permanence...Elle peut être éphémère ou se construire en forcissant dans le temps. Elle est fragile de toute façon ,car elle ne vaut que par la capacité de l’autre à se laisser séduire, donc à se ponctionner une attention et une réponse équivalente , approximative, ou un refus de réponse (qui est parfois inconsciemment recherché ...). La séduction est la condition première de la vie sociale. On l’enseigne donc aux enfants dès le berseau et peut-être même avant maintenant en choisissant le sexe ou le droit de vivre du foetus . C’est un apprentissage douloureux mais heureux quand les besoins de base et les besoins supérieurs de dépassement sont reconnus et en partie satisfaits. Ecrire, c’est tenter d’orienter la donne. Lire ce qui convient, c’est tenter d’obtenir des réponses plus fiables et de recevoir fragments par fragments les éléments qui construisent le désir de pérennité du désir. Ecrire , c’est se souvenir que rien n’est jamais acquis et que nous ne sommes jamais sevrés , quels que soient nos efforts pour nous en affranchir , de ce que nous donnons et recevons à longueur de temps.